LES FABLES DE LA JUNGLE
TABLE DES MATIERES
PROLOGUE: LA CHOSE MORTELLE
I: LE GRAND MUR
II: LE PIEGE DE LA MORT
III: POISON ÉGALE-T-IL SÉCURITÉ?
<P>IV: NUL NE LE PEUT PAR LUI-MEMEV: LE SINGE QUI REFUSAIT DE CROIRE AUX CROCODILES
VI: LE PEU DE SAGESSE QU'IL Y A A NOURRIR LES VAUTOURS
VII: EMPECHEZ-LES DE NICHER
VIII: SUR LE MAUVAIS BOUT DE LA BRANCHE
IX: POURQUOI DIEU ENVOYA JÉSUS
X: LES PETITS LÉOPARDS DEVIENNENT DE GRANDS LÉOPARDS
ÉPILOGUE: LE LAIT DANS LA NOIX DE COCO
PROLOGUE
LA CHOSE MORTELLE
Daudi, un infirmier de l'hôpital du Docteur Jungle, préparait des médecines pour les estomacs. Dans le baobab, à l'extérieur de l'hôpital, les corbeaux se querellaient bruyamment. A mesure que se déroulait l'après-midi du Tanganyika, les ombres s'étiraient.
Sous l'abri, en dehors de la porte du dispensaire, se trouvaient ceux qui guérissaient de différentes maladies. Ils bavardaient ensemble.
- J'ai terriblement peur du lion, dit l'un dont la jambe et la tête étaient bandées de bandages, et il frissonna légèrement.
Un grand garçon mince toussa, puis dit:
- "Heh", la seule pensée de Nzoka le serpent me donne la chair de poule.
Un homme qui se remettait de la malaria émit d'une voix fatiguée:
- "Heh", le Rhinocéros, avec ses pattes qui ébranlent le sol, sa corne féroce, ses...
Les mots lui manquèrent parce que ses dents claquaient d'effroi.
Daudi pesa une poudre blanche et la versa dans une bouteille.
- Les créatures réellement à craindre, dit-il d'une voix persuasive, sont Mbu le moustique et Papasi la tique, et Hazi la mouche. De petites bêtes, en vérité, mais elles tuent mille@fois plus de gens en une année que les bêtes fauves de la jungle.
Daudi s'arrête et se fait absolument immobile.
- Il est une chose plus mortelle encore, plus dangereuse...
Un frémissement passa sur les auditeurs, et M'gogo, qui chaque jour venait à l'hôpital chaque jour chercher une médecine pour ses yeux, fut très intrigué.
- Je vous parlerai de diverses manières de cette chose mortelle, affirma Daudi, car il est très important que vous compreniez. Combien de côtés a cette timbale?
Il éleva le gobelet marqué "Bic-Soude".
Ceux qui écoutaient se montraient prudents.
- Quatre côtés, avança l'un.
- Aussi un dessus et un fond, suggéra M'gogo.
Daudi acquiesça.
- Il y a également plusieurs côtés à cette chose mortelle. Écoutez!
CHAPITRE I:
LE GRAND MUR
Comme il se tenait dans la lueur du feu, son doigt levé, le blanc de beaucoup d'yeux se tourna vers Daudi, l'infirmier de l'hôpital.
Les bruits de la nuit africaine flottaient dans l'air nocturne.
La voix profonde de Daudi résonna...
La consternation régnait dans la jungle. Tous les animaux se réunirent un matin à l'ombre du haut baobab pour parler de ce que l'on pourrait entreprendre, car un mur immense était soudainement apparu de part en part de la jungle.
Il était très élevé et très long, et aussi loin que, du haut de sa grandeur, Twiga la girafe pouvait le voir, il était extrêmement é`pais.
- Le meilleur de la jungle est de l'autre côté, rugit Simba le lion: l'ombre dense des arbres verts, l'eau bleue du grand lac, la fraîcheur des petits ruisseaux qui descendent de la grande montagne...
Son rugissement se fondit en un grognement.
- "Yoh", se lamenta Twiga la girafe, et de ce côté-ci sont les épines et la poussière et le désert, et même les trous d'eau sont bourbeux.
Faru le rhinocéros était furieux. Il ronfla; ses petits yeux bulbeux étincelèrent.
- "Koh", renifla-t-il aller et retour, pareil à une scie à mains, un mur! Je m'en vais le charger et passer au travers".
Les animaux branlèrent la tête. C'était, peut-être, la bonne solution.
Faru s'éloigna.
Puis il fit volte-face et, courant aussi vite que voulaient bien travailler ses courtes jambes, galopa vers le mur. Ses pieds rapides battaient la poussière, la faisant voler, sa corne se dressait, agressive. Le mur se rapprochait de plus en plus.
Faru baissait la tête.
"Wahm!"
Il fonça de nouveau.
Le mur tenait bon, comme auparavant.
Faru était conscient de beaucoup, beaucoup d'yeux qui le regardaient, étonnés.
Soufflant violemment, il trotta loin au fond de la jungle. Appuyant son pied de derrière contre le tronc d'un très grand arbre, il s'élança en un galop plus rapide que la première fois. Le sol trembla, la poussière vola en nuages compacts, et il frappa le mur, "Bang!"
Il recula, chancela sur ses cuisses, son pied de devant caressant sa corne repliée. La meurtrissure de son front enflait à vue d'oeil, ses yeux ronds se dirigeaient simultanément dans deux directions, son esprit tournoyait comme "ifulafumbe" le cyclone.
- "Heh", dit Twiga la girafe en guise de conversation, en vérité c'est un mur d'une résistance étonnante.
Nhembo l'éléphant balançait sa trompe d'ici de là, sa queue pareillement, bien qu'un peu moins.
Il trompeta.
- Cela demande de la force dans les épaules de repousser un mur comme celui-là.
A la mode éléphant, il marcha vers le mur, le tâta de sa trompe. Et de sa rude épaule il le cogna.
"Bang, bang, bang!"
Le mur ne bougea même pas de l'épaisseur de sa queue.
Lentement Nhembo fit demi-tour et se servit de son autre épaule.
De petites bouffées d'haleine d'éléphant sortaient par saccades de sa trompe, pendant que son épaule cognait, et cognait, et cognait encore le mur. Puis Nhembo aussi vint s'asseoir, exténué, à côté de Faru, et appliqua des feuilles de papayer sur ses épaules gonflées d'ampoules.
- Véritablement (les mots tombaient, haletants, de sa trompe), on ne peut passer "à travers" ce mur. C'est une barrière de solidité.
Il s'en alla vers le marécage afin de trouver de la boue fraîche et adoucissante.
Mbisi la hyène rit de son vilain rire.
- Pour des animaux à la force puissante et de peu d'agilité, c'est une tâche par trop difficile! Quant à moi, je suis une créature de subtilité. Je saurai trouver un chemin "autour" du mur.
Il y avait dans sa voix un ton sardonique qui provoqua, sur plus d'un épiderme, des rides de déplaisir.
Twiga la girafe abaissa ses regards du haut de l'arbre à épines dont elle mordillait les pousses.
- "Alors Mbisi, dit-elle, dit-elle en mâchant des feuilles épineuses, montre-nous ta sagesse!
Mbisi tourna insolemment son dos arqué, et s'esquiva, prenant des sentiers sinueux et détournés.
Le soleil se coucha et, tandis qu'ils attendaient, les animaux de la jungle ressentirent la faim. Mais quand se leva la lune, Mbisi n'était pas de retour.
Vint un autre jour, et ils attendirent; une autre nuit tomba, et Mbisi la hyène ne revint pas.
Le jour suivant, encore, les animaux de la jungle retournèrent sous le baobab, et attendirent que réapparaisse la hyène.
Avec peine, aidé de Nyani le singe, Faru l'éléphant avait redressé sa corne, et il était efficacement réconforté par Ndeje, l'oiseau qui piquait les tiques de sa peau et chuchotait des mots d'encouragement à son oreille.
Nhembo l'éléphant posait sur les enflures de ses épaules des compresses de vase, et délicatement posait de la boue liquide sur son épine dorsale douloureuse. Il trompetait doucement, et de sa trompe murmurait des paroles consolantes dans sa large oreille gauche --paroles qui, pour les autres, résonnaient comme un distant tonnerre.
Paisible, Twiga la girafe mangeait les plus vertes pousses au plus haut du magnolier parasol.
Nyani le singe se grattait et bavardait avec les siens, et Nzoka, le serpent, couché en rond dans la chaude poussière, songeait à de la nourriture.
Au déclin du soleil, Mbisi la hyène revint, harassée et boitante.
- Yoh, grogna-t-elle, fourrant piteusement la tête entre ses pattes de devant, c'est inutile! Il n'y a point de chemin "autour" du mur. Il s'en va, s'en va, et s'en va.
Mollement, Nzoka le serpent se déroula, étirant sa tête oscillante.
- "ah", siffla-t-il, vous, animaux, avez la force, la capacité et les moyens de franchir de vastes distances, mais moi, Nzoka, avec mon corps qui se meut en tous sens, je trouverai un chemin "sous" le mur.
Un instant après, les animaux virent disparaître sa queue dans un trou, au ras du Grand Mur qui divisait la jungle. Ils attendirent et guettèrent; mais dans la jungle, tout était silence.
Le temps passa.
Au coucher du soleil, en regagnant le grand baobab, le corbeau croassa son chant tardif de l'après-midi.